Des pupilles aux papilles

 
Des photos de petits plats amoureusement concoctés et de douces pâtisseries préparées en famille fleurissent sur Instagram. Même le très tendance Tik Tok s'est aligné au hashtag #foodchallenge



Depuis quelques temps, la vie se donne un malin plaisir à nous tester. Quand la vie vous offre des citrons, faites-en de la limonade, prône le dicton. Mieux encore, faites-en une tarte meringuée ou des scaloppine al limone !

On n'était pas préparé à vivre de tels changements : le malaise social sans précédent, le soulèvement populaire et la Thawra d'octobre 2019, la prise en otage des économies des épargnants par les banques et, cerise sur le gâteau, la crise sanitaire du Covid-19 ont touché de plein fouet le Liban et l'ont complètement paralysé. Pour essayer de digérer cette ratatouille au goût amer, rien de mieux que de ressortir les tabliers et les cuillères en bois des placards tandis que les marque-pages reprennent leur place dans les livres de recettes 



Après trop de temps passé à jouer sur Candy Crush et autres Fortnite, les tablettes sont désormais recouvertes non seulement d’empreintes de doigts, mais aussi de farine et de chocolat


Au même titre que les ordinateurs portables qui tournent à plein régime avec l’explosion du télétravail et autres cours "online", les fours et robots-batteurs ne prennent aucun répit. Ça mijote, ça mouline, ça bouillonne, ça réduit, ça confit, ça rissole! Dans tous les foyers, on cuisine. Comme on sort moins, toute la famille est réquisitionnée. En temps de crise, la nourriture est réconfortante. Nos grands-mères  


ne conseillaient-elles pas les jeunes filles en âge de se marier que le chemin véritable pour toucher le cœur d'un homme passe par son estomac ?


"Comfort food"


La notion d'aliment-réconfort, aussi appelé aliment réconfortant ou aliment-doudou n'est pourtant pas une nouveauté.  Cet aliment familier qui suscite un sentiment de réconfort et de bien-être lorsqu'il est consommé est plus que jamais d'actualité. Voilà pourquoi les fourneaux ont regagné une place de choix dans nos quotidiens


 La cuisine devient alors une évasion, voire pour certains, une méditation. C'est une façon -bien moins onéreuse qu'une thérapie- pour se recentrer autour de l’essentiel.


Aller à l'essentiel


Aujourd'hui, nous vivons une réduction de l’espace-temps, de l’espace-lieu et de l'espace-manière. Nous sommes forcés de nous recentrer autour de l’essentiel : c’est-à-dire la santé et la protection de notre corps. Comment faire face à tous les facteurs générateurs de stress ? D’un point de vue nutritionnel, en période de sédentarisation, inutile de se jeter sur les pâtes et le riz, considérés comme des biens de première nécessité. Le corps, bougeant moins, n’a pas besoin d’autant d’énergie. Au contraire, il lui faut des nutriments et des vitamines pour faire face à ce changement brutal de vie et renforcer l'immunité. La crise économique actuelle est aussi une opportunité de revoir notre mode d’alimentation à travers des circuits d’approvisionnement locaux. Boudons les supermarchés, allons voir nos maraîchers et autres marchands des quatre-saisons ! Les petits commerçants se réorganisent pour assurer les livraisons à domicile. Allons vers les agriculteurs régionaux et intéressons-nous à ce qui se passe sur les terres agricoles dans notre pays. Recréons des liens sociaux à travers un nouveau mode de consommation. Un conseil ? Mangeons des produits frais et de saison. Les Libanais ont actuellement le temps d’éplucher, de couper, d’organiser et de préparer. Alors que nous sommes menacés par une crise et un virus qui nous empêchent de vivre normalement, faisons du bien à notre corps à travers les fruits et les légumes provenant de la nature autour de nous.


Voyager à travers la cuisine


Côté fourneaux, Pamela et Iyad, jeune couple trentenaire, profitent de leur retranchement forcé pour diversifier leurs repas tout en perfectionnant des classiques qu’ils affectionnent particulièrement. «Même si c’est plutôt lui le chef et moi qui suis son commis, nous aimons cuisiner ensemble. C’est agréable d’avoir plus de temps autant pour la préparation que pour l’élaboration et la dégustation», déclare Pamela. Afin d’innover, ce couple de fins gourmets utilise régulièrement les sites Internet dédiés à la nourriture et les livres de cuisine, plus précis, comme sources d’inspiration. Leur cuisine sent bon les voyages. Le couple prépare avec brio un bo bun, salade vietnamienne de vermicelles de riz avec du tofu, relevé par quelques pickles. Prochain arrêt en Inde, avec des brochettes de paneer (fromage indien) ou encore un dhal de lentilles. Le couple s’amuse même à confectionner des bao (petits pains chinois cuits à la vapeur). «Avoir du temps nous permet plus de diversité. Nous voyageons à travers notre cuisine sans bouger de chez nous.»

             


Des fourmis aux fourneaux

Parents et enfants mettent ensemble la main à la pâte. «Tout en gardant un côté participatif, j’ai très vite inculqué à mes enfants le côté ludique de la cuisine. Ils goûtent, sentent, touillent et assaisonnent. J’ai appris à mon fils à faire une béchamel», révèle fièrement Caroline, maman écolo, qui a pour règle d’or de ne jamais utiliser de produits surgelés industriels, seulement des produits frais. Pragmatique jusqu’au bout de la spatule, la jeune maman de deux garçons de 5 et 7 ans, qui vient de perdre son travail dans le secteur touristique, réapprend à vivre : elle évite le gaspillage et s’efforce de varier les mets en quantité mesurée. «Malgré la situation, je n’ai presque pas révolutionné mes habitudes. Je cuisine pour l’instant ce que je sais faire. Ce qui a changé, c’est que nous faisons davantage attention.»
      
La famille profite même de transformer ces moments en jeux mathématiques avec le calcul du poids des ingrédients pour confectionner un gâteau. Rima, en femme prévenante, a stocké des provisions pour deux mois. Cette quadruple maman s'explique : «J’ai progressivement entassé des denrées de première nécessité. Lentement, sans céder à la panique des prix qui grimpaient. Mais j'ai aussi compris que mes habitudes alimentaires allaient changer suite au confinement et à la récession. Je sors moins, je consomme local et de saison. Faire de la pâtisserie avec les enfants me permet de me changer les idées et d’oublier un court instant les nouvelles catastrophiques". 

Et c'est là que résident les petites joies de la vie…